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Les amoureuses de la Rue Des Roses.

Dans la journée du 27 février 1943, une scène inhabituelle se joue à Berlin : des Allemandes, très agitées et prises d’une violente colère, occupent les trottoirs de la Rosenstrasse (La rue des Roses). Agrippées aux grilles d’entrée du quartier général de la Gestapo, les manifestantes lancent à l’adresse des sentinelles en faction un même cri de désespoir repris comme un refrain : « Rendez nous nos maris et nos enfants ! ». Ces femmes rassemblées là, sur la voie ont, au regard du régime hitlérien, une situation matrimoniale particulière : elles sont en effet les épouses d’hommes de confession judaïque, raflés quelques heures auparavant sur ordre du Führer. Depuis la promulgation des lois de Nuremberg et la mise en œuvre de " la Solution Finale", l’année précédente, les Nazis vident méthodiquement la capitale du Reich de sa population juive : les descentes régulières de la police alimentent les tragiques convois de déportés en partance pour la Pologne et ses sinistres camps d’extermination.

Néanmoins, les services de la Gestapo épargnent jusqu’en 1943 ceux des Juifs qui, par sentiment véritable ou calcul réaliste, ont fait le choix d’une conjointe de sang aryen. Certes, les malheureux endurent les vexations et les humiliations d’un état antisémite (Interdiction de pratiquer certains emplois, marginalisation systématique...) mais aucun ne partage le terrible sort de ses coreligionnaires. L’administration encourage inlassablement les divorces moyennant compensation financière. Peine perdue. Les liens qui unissent la plupart des couples sont sincères. Aussi, les Nazis doivent-ils tolérer dans les rues de Berlin, bon gré mal gré, la présence de 20000 juifs (Hommes et enfants) qu’un heureux statut familial protège de la mort.

La situation évolue pourtant et se dégrade. Le désastre essuyé par la Wehrmacht sur le front de Stalingrad radicalise les positions idéologiques des hauts dignitaires du régime : l’Allemagne est maintenant en danger. Dans peu de temps, les Soviétiques seront aux frontières, prêts à abattre l’œuvre d’Hitler. L’heure n’est plus au compromis, à la mollesse. Les discours de Gobels dévoilent une même obsession que l’opinion publique chauffée à blanc par la propagande officielle partage : il faut de toute urgence en finir avec cet ennemi intérieur qui ronge le moral des troupes engagées. Les derniers juifs berlinois doivent disparaître et endurer le sort tragique que le régime leur réserve.

Dans la matinée du 27 Février 1943, la Gestapo, répondant aux ordres de Himmler, mobilise ses forces pour une opération spectaculaire : des dizaines d’agents SS pénètrent dans les immeubles, dévalent les escaliers, brisent les portes des appartements et procèdent avec la violence qui leur est coutumière à des dizaines d’arrestations. Les victimes, pères et enfants, aussi effrayées que surprises, sont transférées par camions au principal centre de détention de la capitale, rue des Roses, dans l’attente d’une déportation prochaine.

Rentrées de leur journée de travail, les épouses découvrent stupéfaites le triste spectacle dont elles n’auraient pu se douter une heure auparavant : un logis ravagé par les traces d’une lutte acharnée, des fenêtres brisées, et surtout l’absence effrayante du mari, du fils ou de la fille chéris. S’organise alors un mouvement spontané que les Nazis n’ont absolument pas prévu : des centaines de femmes éperdues, en colère, se rassemblent et prennent ensemble le chemin de la Rosenstrasse. Agglutinées devant les bâtiments de la Gestapo, les infortunées crient, s’agitent, menacent : toutes veulent retrouver leurs familles respectives. Quelques détenus parviennent à se hisser aux fenêtres des cellules et adressent à leurs épouses qu’ils aperçoivent des signes de réconfort. Le soir tombe, la nuit passe. Le lendemain matin, le cortège ne s’est pas dispersé : la détermination ne semble pas vouloir faiblir.

Les dirigeants du Reich ne cachent pas leur surprise : jamais ils n’auraient cru devoir affronter une foule de citoyennes allemandes survoltées et résolues. Persuadé que la seule démonstration de sa fermeté suffira à ramener le calme, Himmler fait déployer sur les trottoirs de la rue un détachement de soldats. Intimidées sur le moment, les manifestantes se replient et quittent les lieux. Mais un nouveau regroupement se forme plus loin.

Pendant une semaine entière, jusqu’au 6 Mars 1943, le mouvement de colère ne cède rien. Les troupes ne parviennent plus à maintenir l’ordre, les autorités finissent par s’inquiéter sérieusement. Hitler, craignant que l’évènement ne porte un coup brutal à une cohésion nationale plus que jamais nécessaire, revient sur sa décision. Il fait libérer les détenus. Chacun regagne le logis familial, soulagé : le spectre angoissant des convois de la déportation s’éloigne en même temps que retentit l’heure de la délivrance.

Le dénouement heureux et inattendu de l’affaire jette sur l’Allemagne nazie une touche d’optimisme bienvenue. Au cœur d’un pays blessé par la guerre et soumis à la dictature impitoyable de l’Etat SS, il pouvait tout de même se produire parfois de belles histoires...