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La médecine du Moyen Age : Vous souffrez de la jambe ? Coupons-la !

Une anecdote tragique du XII° siècle révèle combien les pratiques de la médecine médiévale pouvaient être brutales et dangereuses. La scène est rapportée par un savant arabe, Thâbit, considéré en son temps comme l’un des meilleurs spécialistes du corps humain. Le personnage ne donne aucune indication sur la date exacte des évènements qu’il relate, ni sur le lieu de leur déroulement. Mais il est à peu près certain que les faits se sont produits à l’époque des Croisades dans l’un des quatre états latins d’Orient.

L’homme raconte qu’il est un jour appelé par les Francs pour une série de consultations urgentes. Il se rend d’abord au chevet d’un chevalier mal en point : le malheureux souffre d’un vilain abcès à la jambe. La plaie est déjà très infectée et menace de s’étendre si rien n’est tenté. D’ordinaire, en pareil cas, les spécialistes ont recours à l’amputation. Mais Thâbit envisage une méthode plus douce : il prépare un petit cataplasme dont il a le secret et l’applique sur les chairs corrompues. Puis, il recommande de patienter quelques temps car le remède ne peut agir sur l’instant.

Peu après, le médecin rencontre une femme prise de fortes fièvres : l’état de la malade empire d’heure en heure à tel point que l’on en vient à craindre pour sa vie. Thâbit connaît ce genre de symptômes spectaculaires : il prescrit un traitement certes un peu particulier mais néanmoins révélateur d’une certaine clairvoyance scientifique. Pour « rafraîchir le tempérament » de la jeune fille, il est nécessaire que celle-ci boive beaucoup d’eau et s’abstienne de consommer certains aliments.

Le savant en est là de ses soins lorsque se présente l’un de ses confrères, un Franc. L’homme a-t-il entendu dire qu’un praticien arabe soignait des Chrétiens, ce que l’Eglise interdit avec la dernière des fermetés ? Peut-être. Craint-il qu’on ne vienne lui prendre sa clientèle ? Peut-être aussi.

En tous les cas, il s’approche du chevalier blessé. Il examine la plaie infectée un instant et dit :

« Veux-tu mourir avec tes deux jambes ? Ou préfères-tu vivre avec une seule ?

« Je préfère encore vivre avec une seule jambe ! » répond naturellement l’homme.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le médecin fait appeler un soldat armé d’une lourde hache. Le patient est amené à un billot de bois sur lequel il étend sa jambe malade. L’instant d’après, un coup bien donné suffit à détacher le membre. L’heure suivante, l’infortuné chevalier décède.

Arrive le tour de la femme prise par les fièvres. Le médecin l’observe un moment puis il lui dit en désignant du doigt Thâbit qui assiste silencieux à la scène :

« Cet homme est incapable de te guérir ! Tu es possédée par le démon."

Comme le veut une vieille croyance médiévale, il recommande à la malheureuse de consommer d’abondantes quantités de moutarde et d’ail, aliments que les mauvais esprits ont en horreur.

Mais le traitement est vain : le démon semble ne pas vouloir disparaître.

« Si tu ne vas pas mieux, c’est que le Satan se trouve dans ta tête" annonce le savant.

Il faut donc envisager un traitement plus radical. Muni d’un rasoir, l’homme opère une large incision en forme de croix sur le crâne de la patiente. Les plaies sont si profondes que les os paraissent. Cela fait, il applique sur les lésions volontaires du sel et frotte énergiquement le cuir chevelu en sang. On imagine sans peine les tourments endurés par la souffrante qui ne survit d’ailleurs pas à ses supplices.

Devenu spectateur impuissant d’une scène qu’il ne comprend pas, Thâbit préfère s’en retourner chez lui auprès des siens, terrifié des pratiques médicales que les Francs utilisent.

Au XII° siècle, l’Occident connaît encore bien mal les secrets du corps humain. Soigner demeure un acte incertain et lourd de risques. Dans les monastères, les religieux confectionnent des potions d’herbes sauvages et de racines dont ils se transmettent les savantes compositions mais qui ne peuvent pas grand-chose contre les épidémies mortelles des temps médiévaux.

En revanche, dans les contrées orientales du monde méditerranéen, les Musulmans ont acquis un savoir scientifique bien plus étendu. A l’époque où les médecins européens ne prescrivent que tisanes et mixtures infâmes pour une hypothétique guérison, les cours de Bagdad ou Damas attirent de prestigieux spécialistes, capables de réduire les fractures importantes, opérer certaines affections ophtalmiques.

A l’origine de cette avance remarquable, le Djihad. Quand les armées de l’Islam se heurtent aux Byzantins ou aux Perses, les anciennes capitales de l’Antiquité tombent entre leurs mains. Alexandrie ouvre ses portes aux conquérants. Venus des provinces les plus éloignées de l’empire musulman, les intellectuels y redécouvrent les héritages des civilisations gréco-latines et hellénistiques que l’Eglise a ignorés depuis de nombreux siècles. Parmi les milliers de manuscrits rangés sur les étagères de la prestigieuse bibliothèque de la cité, ceux de Galien et d’Hippocrate, deux auteurs qui réfléchirent en leur temps aux mystères du corps humain. Les érudits musulmans perçoivent très vite tout le profit qu’ils peuvent retirer de tels écrits. Les parchemins rédigés dans la langue grecque sont traduits en arabe puis diffusés à travers le bassin de la Méditerranée.

L’Occident s’intéresse très tôt aux progrès médicaux que l’Islam véhicule avec lui. En Espagne, en Sicile, à Jérusalem, régions où populations chrétiennes et musulmanes se côtoient dans le quotidien, les échanges se multiplient. De nombreux lettrés européens rapportent de lointains voyages les ouvrages de médecine hérités des Anciens. Les connaissances scientifiques se développent et contredisent parfois les affirmations contenues dans la Bible. Au cours des premières années du XII° siècle, paraissent les premières universités de médecine : celles de Paris, Montpellier ou Salerne sont les plus réputées. Des milliers d’étudiants viennent y découvrir les secrets de l’Homme et passer les diplômes qui ouvrent les portes des professions de la santé.

Néanmoins, bien que le savoir médical s’enrichisse au contact des spécialistes musulmans les plus éminents, les praticiens occidentaux demeurent prisonniers de théories qui feraient sourire d’ironie nos chirurgiens modernes.

On pense ainsi que quatre liquides différents parcourent les tissus humains : le sang, la bile, la bile noire et le phlegme. La maladie survient, croit-on, quand l’un d’entre eux est en quantité trop importante par rapport au trois autres.

On imagine également que certains des organes du corps sont froids, que d’autres sont chauds.

Une consultation au Moyen Age se déroule d’une manière bien étrange. Comme de nos jours, le médecin essaye de déterminer la cause d’un symptôme, d’une douleur. Mais il ne touche que très peu son patient et construit son diagnostique sur l’examen des urines que ce dernier lui fournit : une urine trop claire est signe d’ennui digestifs ou d’affection de l’estomac ; une urine trop foncée indique des problèmes de foie.... Parfois, il faut goûter !!!

Au moment de rédiger l’ordonnance, le savant n’oublie jamais de conseiller, en plus des traitements à suivre, quelques prières, une pénitence voire un pèlerinage. Les hommes du Moyen Age considèrent qu’il est naturel qu’un médecin prenne également soin de la santé spirituelle de ceux qui viennent le trouver.

Huit siècles plus tard, tout cela fait sourire. Certes, les méthodes de la médecine médiévale sont bien éloignées des pratiques que les grands professeurs actuels utilisent quand ils combattent le cancer ou une pathologie particulièrement grave. Néanmoins, c’est au XII° siècle que commence la belle aventure des sciences du corps humains. Espérons qu’elle a devant elle de nombreuses années...